Ton Grand Méchant Loup
- Désordre
Il y avait ces routes sinueuses certains soirs, ces lumières de chaque côté de la rue. Il y régnait une paix quasi-religieuse. De me sentir seul face à ce silence inouï, j’avais des frissons tout le long de la colonne vertébrale. Je percevais même les plus bruits infimes émanant de son jardin comme des notes de cristal. La petite était un spectacle à elle seule. Sous le feu de la lampe fade du porche, elle ramassait ses poupées, pieds nus, les cheveux défaits et la robe ample. Ses bretelles glissaient constamment sur ses épaules satinées. J’imaginais son parfum, la saveur de sa peau, et je suintais dans le noir. Le plaisir était fulgurant, cela me montait au cerveau, jusqu’aux bourses. Mes visions devenaient plus précises, plus jouissives, plus violentes et chaotiques. La petite semblait flairer le danger, elle se tournait vers l’obscurité quelques instants, l’air hébété, la bouche entrouverte. Elle avait peur sans comprendre. J’aurais aimé me satisfaire de sa frayeur contre moi, la mordre jusqu’au sang pour la sentir fondre en moi, comme ses poupées qu’elle bafouait les après-midis dans son bac à sable. J’étais sur le point de jouir contre le poteau téléphonique froid, lorsque la main de sa mère l’attrapa par les épaules. La petite sursauta, surprise. La femme était sidérée de la voir pleurer si soudainement. Pour la rassurer, elle la prit dans ses bras, regarda à droite à gauche, méfiante, puis rentra dans la maison. J’éjaculai tout de même, guidé par mes fantasmes ; l’envie d’une rencontre sublime entre elle et moi, son innocence et ma bestialité. J’avais tellement envie de la dévorer que je sentais mon cœur se rompre chaque jour un peu plus.
De retour à la maison, ma femme se terra immédiatement dans un coin du foyer. Elle le faisait constamment. Elle avait les yeux cernés de fatigue, la peau flétrie. Je peinais à croire que la jeune femme épousée il y a quelques années de cela se ratatinait avec si peu de grâce au fil du temps. Aigrie à la vue familière de mon visage, ma présence à elle seule suffisait à la rendre démente. Je distinguais les bruits de ses pas dès l’ouverture de la porte ; la partie de cache-cache commençait ainsi, mais je finissais toujours par la rejoindre bien vite. Ce soir, recroquevillée dans un coin de la cuisine, elle suppliait en silence tandis que je caressais l’émail de ma boucle de ceinture. Ce geste la rendait hystérique : ça la figeait sur place, elle en tremblait de tous ses membres. Je défis lentement la liane qui entourait mon pantalon et libérai son pire cauchemar. Elle détourna aussitôt le regard, les larmes aux yeux, la bouche béante. Elle essayait de pousser un cri, de me prier d’arrêter, mais rien ne sortait. Ses doigts étaient crispés dans le vide. La garce ressemblait ainsi à un vieux tableau monstrueux, une pauvre mendiante décrépite. Pourtant, c’était avec l’image de la petite May que je m’enfonçais jusqu’à la glotte, que je ressortais et que je pénétrais encore ce gouffre qui finissait par ruisseler de vomi et de sperme. Je devrais être moins mauvais, mais cela me plaisait à rester au fond même lorsqu’elle s’étouffait et tentait de se libérer. Je lui chuchotais d’avaler gentiment si elle voulait l’autorisation de dîner par la suite, et ma Sophie obéissait.
Les jours suivants, je les passais à la suivre de très loin. Je prenais le soin de ne pas m’occuper plus que ça de sa présence. Elle n’était jamais seule. La gamine tenait toujours les mains d’un adulte ou d’un autre enfant. Fréquemment, elle s’éloignait pour récolter une chose sur le sol (elle aimait faire de jolies trouvailles qui émerveillaient sa mère). Je compris que pour pouvoir l’attraper, il me faudrait trouver une chose aussi brillante que toutes ces merdes inutiles qu’elle adorait dérober au sol. J’avais alors fait tomber un bijou de ma femme près de la rivière où elle adorait venir taquiner les poissons et grenouilles qui fourmillaient les jours d’été. Comme un conte pour enfants, je semai des trésors brillants au bord de l’eau afin qu’elle emprunte le chemin tracé par mes soins et me trouve. Me projeter dans l’avenir avec elle me mettait dans un tel état d’excitation que je me branlais derrière les fougères hautes. Il faisait très chaud par ailleurs et ce jour-là, elle portait une tenue des plus satisfaisantes. Une petite robe à fleurs et à bretelles, des sandalettes sans chaussettes et le plus beau de tout : elle avait de jolies couettes pour cette sortie. La mignonne ramassait les bijoux. Elle hurlait à sa mère qu’elle venait de trouver des choses brillantes, mais celle-ci lui fit signe de ne pas aller trop loin et continuait de se prélasser au soleil auprès de ses amies. La belle petite, trop enivrée par sa chasse au trésor, s’éloigna tout de même pour ne plus être dans le champ de vision des femmes, jusqu’aux fougères où elle m’aperçut. Étrangement, elle ne hurla pas, elle me sourit très gentiment et m’adressa un bonjour des plus naturels. Elle connaissait ma femme et se rappelait sans doute m’avoir vu plusieurs fois avec elle. Je lui offris des bonbons qu’elle accepta les yeux pétillants de gourmandise. Sans avoir l’air de rien, j’effleurai sa peau si douce et l’embrassai tendrement sur les joues comme le font certains adultes en toute innocence. Son odeur, sa douceur et ses rires discrets, lorsque ma barbe naissante chatouillait son cou, me firent bander. Elle finit par se débattre un peu lorsque mes jeux allèrent plus avant et que mes gestes se firent plus précis. Mes mains glissèrent sous sa robe et je maintenais les siennes qui tentaient de me repousser. C’est là qu’elle se mit à pleurer. J’essayais de la rassurer, de la séduire, en lui chuchotant combien elle était douce et belle. Elle ne comprit pas du tout ces mots doux, cet amour que je lui soufflais, la garce se mit à hurle. Non sans mal je l’empêchais d’alerter les autres. Avec mon autre main, je poursuivis l’exploration de ses parties secrètes. Elle continua de se débattre, mais elle était si petite et menue qu’elle ne me fit aucun mal. Cela ne dérangea en rien mon envie. La bave aux lèvres, je caressai les boursouflures sous sa culotte étroite et elle cessa de gigoter.
— Tu aimes ça, pas vrai ?
Les larmes aux yeux, elle fit non de la tête, complètement terrorisée. A vif, je ne me contrôlai plus, je lui enlevai ses vêtements pour découvrir quelque chose d’inédit : une beauté irréelle, sans décrépitude et imperfections, sans formes et poils repoussants. Je ne sais plus très bien combien de temps cela dura ; j’ai joui en elle et c’est comme si j’avais été possédé. Après l’éjaculation, je recouvrai la raison pour m’enfuir en la laissant sans vie et ravagée dans les fougères.
Le lendemain, Sophie préparait le petit-déjeuner. Elle m’exaspérait de ne plus faire d’effort pour se rendre désirable. Dans un peignoir tâché et vieux, elle prenait soin de ne pas passer près de moi. Sans doute était-elle dans l’angoisse permanente de mes excès d’humeur, mais je ne la supportais plus. Victime, elle s’enfermait dans la maison, guettant mon retour, ayant briqué les pièces de fond en comble. Elle croyait que c’était ça qui me mettait en boule alors que ce n’était qu’elle – sa présence me rendait fou -. Ce matin-là, elle pleurait. J’ai fini par lui demander de m’expliquer les raisons avant de lui loger mon poing dans la figure.
— La petite May est morte. C’est écrit dans le journal. Ils l’ont retrouvée hier près de la rivière. C’est épouvantable.
Sans véritablement paniquer, j’attrapai le journal du matin. L’histoire faisait la une. Une jolie photo de la petite demoiselle ornait le papier entouré de fleurs avec un titre des plus niais : « Nous t’aimons, May ». La presse qualifiait l’acte d’ignominie sans nom tout en précisant la nature et en décrivant l’état du corps de la petite fille. Elle avait été violée (sa mère l’avait trouvé nue.), puis étranglée ; le « prédateur monstrueux » lui avait lacéré les parties intimes, des morsures apparaissaient visibles sur tout le corps. La mère était inconsolable, (c’est tout du moins ce que j’imaginais), elle expliquait qu’elle ne l’avait pas vu s’éloigner, alors qu’elle ne la quittait jamais des yeux. Je savais que c’était mensonger et cela me fit rire. Sophie parut choquée, assez pour s’enfuir de la cuisine. Ça m’avait alors vraiment énervé, et j’ai commencé à hurler après elle.
— Ce n’est pas possible d’être aussi conne ! Tu reviens tout de suite terminer ce que tu as commencé !
Après l’avoir giflée, je l’ai traînée derrière moi, et c’est en silence qu’elle prépara mes œufs.
Sur le chemin, vers le petit parc, j’ai entrevu la petite Marie qui s’égosillait avec d’autres gamins. Sa petite frimousse était adorable. Elle s’échinait à poursuivre un ballon qui lui glissait des mains. Chaque fois qu’elle se penchait, j’apercevais sa culotte bouffante rose qui me faisait bander. Soudain, les femmes qui accompagnaient les enfants m’ont regardé, toutes sans exception. Un malaise étrange s’est installé ; j’avais la sensation qu’elles m’avaient démasquée, qu’elles comprenaient que c’était moi qui avais tué May. Je m’éloignai donc à grands pas, mais chaque fois que je rencontrais une connaissance, personne ne répondait à mes saluts ou hochements de tête. J’avais l’impression qu’ils savaient tous. Sillonner la ville devenait un périple étrange, puis de plus en plus insupportable tant les regards sur moi devenaient pesants, méfiants, haineux. Et puis un jour, un homme vint me frapper sans raison particulière. Il décocha le premier coup, et cela motiva les autres. J’étais attaqué de toutes parts par des hommes et des femmes que je voyais tous les jours. Ils étaient méconnaissables : la rage déformait leur visage, les larmes coupantes sur les joues de certaines femmes, les veines saillantes pour les hommes. « Pourquoi ? Arrêtez ! »
Les coups s’arrêtèrent un instant, je pouvais sentir la rage en chacuns d’eux. « Faire ça à une pauvre gamine… Elle ne méritait pas ça… » Les poings s’abattaient ensuite sur moi sans discontinuer. Je ne cessais de clamer mon innocence, mais plus personne n’écoutait. Ils voulaient juste pouvoir me dépecer et chacun s’en donnait à cœur joie. C’est la police qui me sauva du lynchage. Rué de coups et choqué, je n’entendais plus lorsqu’on me parlait. Je percevais, étourdi, des bribes de mots ; on me lisait mes droits ou autre chose. On me déplaçait, j’étais devenu un pantin. Je n’avais qu’une demande : je voulais juste que l’on prévienne ma femme.
— Savez-vous pourquoi on vous embarque, Monsieur Mile ?
— Je ne sais pas ! Je ne comprends pas ! Ils m’ont accusé d’une chose horrible !
— Ces accusations viennent de votre femme !
— Sophie ?
— Elle a porté plainte ce matin pour coups et blessures. Elle nous a ensuite confié vos vêtements tâchés et nous a raconté votre penchant pour la violence et l’observation de certaines fillettes du voisinage.
— Vous comprenez, Monsieur ? Vous êtes accusé de meurtre, de viol, de violence conjugale, de pédophilie, et de plusieurs autres chefs d’inculpations. Je crois que votre femme a alerté la mère de la petite et que celle-ci a tout de suite mise en garde ses proches. La presse est déjà au courant. C’est pour cela qu’ils vous ont agressés.
— Sophie ? Ma femme n’aurait jamais…
— Elle l’a fait Monsieur.
Coincé sur une chaise bien trop rigide, humilié et sommé de répondre à des questions idiotes dans un pièce lumineuse et froide; je n’arrivais pas à y croire. Cette pute n’était pas sortie de sa tanière depuis des lustres, et quand elle osa le faire, c’était pour aller me discréditer ! Cette conne avait poussé le vice jusqu’à venir au poste de police sur son 31. Si j’avais eu les mains libres, je l’aurais étranglée. Elle jouait la victime devant les officiers qui me lançaient des regards féroces. Je voulais encore marteler sa sale gueule. J’étais répugné par cette comédie, ses jambes lisses, ses cheveux soigneux, son parfum enivrant et son visage parfaitement maquillé laissant paraître les traces violacées de coups. Je ne me faisais pas d’illusions. Je représentais ce monstre qu’elle décrivait avec patience, sanglotant aux bons moments. J’en avais des hauts le cœur qu’elle fut cette salope manipulatrice. Elle s’était levée pour me gifler. Je ne pouvais pas me défendre puisque trois policiers me retenaient et elle m’asséna plusieurs claques sans pouvoir s’arrêter jusqu’à ce qu’on la prie de se calmer. Un jeune policier courtois lui proposa de la raccompagner. J’étais réellement hors de moi. Pourtant, je ne pouvais rien faire : dès que je gigotais sur ma chaise, on me tranquillisait de force. Je crois bien qu’elle avait pris son pied pour la première fois de sa vie. Étrangement, cela me fit rire à n’en plus finir.
- Autrice Paracelsia Le Saigné
- Crédit Photo Féebrile aka Isabelle Royet-Journoud