L’insecte
- Désordre
C’est par la queue du diable que les hommes attrapent les vices qui les articulent.
Les femmes, elles écartent leurs peaux lisses pour y sentir glisser les lames de cette aigreur qui nous blessent.
Je suis un être plein de fiel et de haine ; ces choses grouillent dans mon ventre, consomment les artifices pour apaiser ma violence, mais le désir me ronge aussi.
Je voudrais pouvoir enfoncer dans les trous de toutes ces connes et ces enflures, le cyanure de mon dégoût.
Je suis là, à regarder le déclin de ce monde, cette perte atroce, cette progressive agonie d’une société dévorée par la lubricité, la brutalité et la schizophrénie.
J’en suis probablement la pire représentation, et ce qui m’affecte n’est que la conséquence logique de la folie qui m’entoure.
Je sens les papillons de mort à l’intérieur de moi, en dessous de mon ventre, dans mon utérus. Je les entends grouiller entre mes cuisses. Ça remue, je les savoure au plus profond de moi lorsqu’ils chatouillent mon désir, me faisant mouiller comme jamais dans un orgasme perpétuel.
Ces créatures arrivées là sans savoir comment, qui entrent et qui sortent comme une queue en plein ébat, ne sont-elles pas une partie de moi qui aurait pris vie ?
J’observe cette civilisation pudibonde s’offusquer d’un téton à l’air et magnifier la violence d’une bombe déchiquetant des corps d’enfants et j’aimerais vraiment m’asseoir sur cette hypocrite, lui coller ma chatte en plein visage pour partager mes parasites douteux.
Mais ça serait un tel gâchis, cette noirceur que je matérialise en insecte, je préfère la garder pour moi, à l’intérieur de moi.
Ces ombres prennent forme le temps de lutte interne où j’apprends à fermer ma gueule au milieu d’autres personnages qui ne paraissent pas non plus à leur place. Ce sont des marionnettes faisant semblant de se draper dans les égarements d’une société qui chie ses déchets, les trie, les ravale pour tout régurgiter. J’imagine continuellement de vulgaires poulets qui s’engraissent en voyant dériver leurs corps. Je supporte parfois de me confondre avec eux, anesthésier par une grande quantité de weed et de désillusions. Je me persuade avant d’étreindre le réel que tout ceci n’est qu’un programme télé que je subis du fond de mon fauteuil ; l’obsolescence méritée de notre arrogance.
Je me réveille ce matin, l’âme pâteuse, la clope au bec, m’étant endormie comme une sous-merde devant un porno bourrin, j’entrevois alors l’image d’un vagin étiré à l’extrême, encaissant trois queues noires. L’enchaînement de ces bites dans son tunnel à elle, devient un fascinant spectacle étrange. L’exhibition n’est pas excitante, mais il y a quelque chose de très industriel à mater ces tuyaux lubrifiés se superposant l’une à l’autre et élargir le trou, ils me rappellent des outils de forages mouiller d’eau sale prenant la couleur du lait par moment, le gros clin d’œil me fait toujours rire. Les rugissements de l’actrice finissent par m’arracher à ma léthargie. Je me frotte énergiquement les yeux, me rabroue afin de me préparer à prendre part au carnaval du quotidien : aller bosser. Sortir et supporter ce pénible corridor d’os et de chairs, d’odeurs et de vapeurs, de cris et de sons, jusque dans les transports en commun. Tout ceci représente mon chemin de croix.
Je m’habille, lentement en sélectionnant mes fringues avec précaution et soin. Non pas que leur choix soit important, mais pour chaque étole, je me demande si cela vaut vraiment le coup de me prendre la tête. Me vient soudain l’envie d’y aller nue d’exposer cette crudité si choquante à tous ces regards malsains qui s’offusqueront faussement pour le bien de la décence… Et les enfants alors ? Vous y pensez à ces chiards inutiles ? Putain, c’est sûr qu’ils attendent de me reluquer tous ses chiens sans but.
Heureusement, le peu de raison qu’il me reste m’empêche de le faire. Je me ressaisis en enfilant chaque vêtement avec une délicatesse exagérée pour retarder le départ.
Puis arrive le moment de décoller de l’appartement. C’est plus fort que moi, je ne peux me retenir d’aller vomir avant de m’extirper de ma bulle. Tous ces rituels, toute cette routine me rendent malade. Mon corps est incapable de mentir et me laisse inonder la cuvette avec ce que j’avais mangé la veille et qui ne semblait pas tout à fait digéré.
Vidée et sans entrain, je claque finalement la porte de chez moi et me prépare au fameux parcours du combattant de tout bons Parisiens aguerris : « La ligne 13 ». C’est un marasme folklorique de personnes, toutes plus improbables les unes que les autres. L’odeur implacable et leur air de bêtes que l’on mène à l’abattoir étaient le plus difficile à supporter. Les rames sont des brassins à ivresse instantanée, cette soupe immonde me faisait invariablement penser à des boîtes d’asticots pour la pêche. Je m’exaspère devant ces vers grouillants qui se tordent, stupides, inconscients consentants du sort qui leur est réservé.
Je me figure jouer et ne pas être atteinte par cette forme d’esclavage, parce que je me sais condamner pour ce monde-là. Ma faim est ailleurs et cette fringale ignoble, je la comble en interprétant le rôle de l’excellente élève, intégrant les codes et en les contournant pour assouvir ma passion pour la manipulation et le cul. Ce moment où tu attrapes dans tes filets une idiote ou un imbécile heureux et qu’ils comprennent soudain que tu œuvres dans le but de nuire, cette expression de doute, d’incompréhension et de colère est orgasmique. Je me plais à jouir du souvenir de leurs larmes, seule dans ma chambre. J’adore reluquer les visages bouffis de pleurs des femmes, elles sont ravissantes, complètement dramatiques, j’ai la fantaisie de les gifler pour zébrer leur joue un peu plus et me branler devant elle, en observant la couleur de leur peau virée sanguine. Je m’amuse à admirer la colère de certains mecs surpris de s’être laissé avoir par une crevette qui leur semblait innocente. Le soir, secoué de biture, je me promène dans les venelles sombres de la ville espérant qu’on me fasse mal, mais je dois paraître trop étrange pour donner envie de me faire prendre dans un coin jusqu’à la déchirure. Au détour d’une rue, lorsque j’aperçois des rats ou des petits moineaux crevés, j’exulte. Je retrousse ma jupe pour pisser sur leur carcasse froide. Je gicle sur la mort… J’en ai des frissons à saloper mes collants, poissés de jets d’urines. À cet instant, j’imagine que c’est un corps inerte, un homme couvert d’escarres, pourrissant, que j’insulterais sans raison précise, simplement parce que j’aurais le pouvoir de l’agonir de mots sales. Il ferait office d’exutoire, je verrais en lui chaque asticot du quai, et pendant un soupir, je jouerais une romance comme nurse Monika.
Malheureusement, rêver un fantasme ne le fait pas vivre, et être en vie représente une chimère. Or, j’ai besoin d’exister. N’est-ce pas là en définitive, ce que je recherche, dans la mort et la douleur, dans les larmes et le dégoût ? Éprouver la vie que je n’ai jamais réellement vécue ? Les nuits, je cherche un point sombre sur la peau de mes cuisses puis pique dans le même trou crouté jusqu’à saliver des gencives, perdues dans ma transe.
Encore une journée d’un boulot insipide qui s’achève, sans intérêts. Me revoilà sur le chemin du retour et les transports me paraissent toujours plus puants et nauséabonds. Les gens, ces zombies muets, collés à leur téléphone, la tête basse, me donnent des haut-le-cœur.
Il faut que je sorte de là.
J’erre de nouveau à pied en inspectant les ruelles obscures de la ville, espérant qu’une âme charitable me remarque et s’occupe enfin de moi. Mais il n’y a personne à l’horizon, si ce n’est des ombres indécises que je ne saurais localiser et dont je ne pourrai rien tirer pour me satisfaire.
Mais voici qu’au loin, défilent trois rats gigantesques faisant la course en se sautant dessus. Ils se dirigent vers un passage exigu, couleur d’encre noire. Là où ces horreurs rôdent, je m’incruste. À croire que l’on est de la même famille. Et alors ? Qu’ils me guident vers la putrescence de ces nuits peuplées de morts agonisants ou de membres figés, de poubelle de chairs toujours vives.
Je pénètre le recoin sombre où la nuée de rongeurs s’est infiltrée. Derrière un conteneur à ordures vraisemblablement oublié et hors service, j’aperçois, étendu là dans toute sa magnificence, un sans-abri statufié sous sa couverture de sacs plastiques perforés. Me tenant à quelques mètres du corps. C’est difficile de déterminer son état, tant les rats se sont amusés avec sa dépouille. Je contemple la scène, la salive au coin des lèvres, comme si je me trouvais enfin devant l’œuvre ultime d’un artiste fou. La viande semble vivante parce qu’il grouille de saloperies affamées. Je crois tirer une larme face à un tel cadeau. Le mouvement frénétique de quelques rats donne l’illusion qu’il fait une sorte de crise d’épilepsie, mais il est en train de se faire dévorer. Cela a dû se produire assez brutalement, ses yeux restent désespérément ouverts sur la voûte céleste inondée d’étoiles ce soir. Sa bouche béante accueille une boule de poil curieuse et décidée à partir explorer plus loin ce garde-manger. L’expression buffet-froid traverse mon esprit et j’ai envie de m’esclaffer, mais il ne faut pas déranger les convives ou je risque de les agacer et de les attirer à moi. Je recule un peu, un mur m’arrête et je trouve le point de vue parfait. J’admire ce chef-d’œuvre vomitif qui m’excite complètement. Je suis trempé, halluciné, il faut que j’ouvre bien ma chatte pour participer, putride à ce festin de concerto infernal.
Ça couine de rage, certains emportent un bout de carcasse en retrait, pour se rassasier à l’abri des autres gloutons. J’observe le cadavre s’affaisser sur lui-même, perdre de sa grâce chimérique. De son visage, un trou hilare qui dévoile la petite langue rose dépassant de la gueule d’un convive, et j’enfonce mes doigts loin, la pluie dans un coin de mon œil, le souffle coupé par un tel carnage. J’ai toutes ses foutues musiques religieuses qui me passent par la tête et qui rendent ce moment splendide. Un glouton s’approche de moi intrigué, je lui déverse par filet une rasade de miction qui le fait décamper, tout est parfait… C’est parfait. Je me terre dans le noir à mater mon porno illégal sur un plateau de goudron. La vie fait bien des cadeaux et jusqu’à m’irriter les sens et blesser le clitoris je reste en adoration devant ce tableau vivant. Je déchire mes bas pour sortir de l’anonymat. Je suis encore ravagé par l’excitation, je cherche une personne mal intentionnée qui n’aurait aucun scrupule à me délivrer de toute cette tension. Je rêve d’une bonne bite dégueulasse et d’une crevure sans morale qui fantasmerait d’ouvrir en deux une pauvre petite écervelée dans les ruelles perdues de la ville à une heure pas possible. Mais ce soir loin du festin, je ne trouve qu’un trou du cul affolé qui tient à appeler les pompiers et rester près de moi, son manteau sur mes épaules car il fait frisquet. Enfoiré ! Faux-self en action, je revêts un masque que je connais par cœur, je finis par chialer aussi de son incompétence évidente en le remerciant et le maudissant intérieurement. Connard, ce n’est pas difficile de ramasser un tesson de bouteille et de me le fourrer quelque part non ? En plus je vais avoir le droit à un torrent de questions et de compassions qui me débecte au plus haut point.
Tout se passe avec une lenteur déconcertante, un petit tour à l’hôpital, examen de partout, malaise infâme en découvrant le massacre de mon appareil génital, j’invente un agresseur pour éviter les ennuis, c’est le monde à l’envers, je ne pouvais pas balancer que me défoncer la chatte est un plaisir tout à fait acceptable, pour moi du moins.
Tandis qu’on prend un millier de précautions pour m’installer un nid douillet dans une chambre, je repensais à ce show délirant qui m’a été offert par le destin ; je souhaite maintenant rester seule, mon envie me serre bientôt le ventre et les cuisses, il y a trop de bienveillance autour de moi. Il me tarde d’être à nouveau moi-même loin de ces cons, imaginer tourmenter mon clito jusqu’à sa décapitation me fait presque jouir.
- Autrice Paracelsia Le Saigné
- Auteur Mathieu Brossard
- Crédits Photo Isabelle Royet-Journoud