Kings
- Érotique
Le bruit est assourdissant. Il y a comme une atmosphère de sacrilège dans cette foire aux monstres. Des déserteurs de l’amour, des passionnés de la chair, des inconditionnels perdus au centre de leur fantasme. Je ne sais plus comment me définir ou m’imaginer, je joue simplement le jeu. Ici, comme tant d’autres, je me nomme anonyme. J’entretiens le mythe, je ravive les corps, je déclenche la passion.
Dès qu’il est là, dès qu’il semble être dans les parages, mon nom est putain, mon âme est saoule et mes jambes closes. Je comprime les cuisses comme l’illusion parfaite de l’avoir de nouveau en moi et le retenir. La sono se déchaîne, la musique est affolante. Mon amour s’est échoué loin de moi, près d’une ombre nue qui étire tout son corps, fiévreusement emportée par une mélodie mélancolique. Une brune ingénue à la peau laiteuse et scintillante lorsque la lumière s’attarde faiblement sur elle. Je comprends le désir pour elle, cette danse lascive l’excite, mais il ne la touche pas. Je l’observe près d’elle ; la cigarette coincée entre ses lèvres, les volutes de fumée qui lui font plisser les yeux, ces cheveux lisses sont soigneusement remontés en un chignon parfait.
Ce soir, il est singulièrement efféminé. Il laisse des traces de rouges à lèvres sur son verre qu’il finit par tendre à la danseuse. Elle s’approche de lui, soutient son regard qui achève d’avoir raison d’elle. La créature est déjà à ses pieds, obscène à présent. Elle se colle à sa jambe, pressante. Je me redresse en signe de protestation, mais l’autre me retient, l’autre me fait rasseoir contre lui, il détend ma main sur la couture de son jean qui se met à brûler. L’autre me sert aussi fort qu’il le peut, son bras m’enlace par-derrière et je sens son souffle chaud contre mon cou, il me chuchote de regarder. Mon amour se laisse faire, la jeune fille se comporte comme une chienne en chaleur, un animal en souffrance. Elle caresse son visage contre la toile de son pantalon, elle renifle et cherche, j’ai même de la peine pour elle, car ce jeu s’éternise. L’Adoré reste immobile, la cigarette se consume sans qu’il ne l’exauce. Ce gibier à terre, c’est moi, je supplie pour un morceau de lui. L’autre me tient continuellement contre lui, j’ai la poitrine en feu tellement il m’enserre, implacablement. L’extrémité de sa langue s’échauffe contre le lobe de mon oreille droite. Je m’étouffe jusqu’à l’agonie tant la sensation est inouïe. La musique vrille mes tympans, pourtant, j’entends ses chuchotements. Je desserre les jambes, je me laisse aller oubliant l’endroit, les yeux toujours rivés sur le spectacle de sa déchéance à elle. Mon amour lui attrape les cheveux, enfonce son visage dans son aine, elle ne se défend pas lorsqu’il l’asphyxie entre ses cuisses. Je suis hypnotisée, je le trouve majestueux, j’avais mille pensées à l’orée de mes désirs, mon corps tendu vers lui, prisonnier d’un autre. Regarde-moi, regarde-moi ! Une main se glisse à l’intérieur de mon ventre, je dois être désirable puisque tous m’observent, même lui. Ses yeux se posent enfin sur moi, la pression sur la misérable n’est plus utile, je gagne, c’est moi qui l’intrigue. Mon amour délaisse son jouet et se tourne vers nous. Il glisse vers moi comme dans un film, le teint est diaphane, les yeux redoutables, le sourire carnassier et toujours cette cigarette qui ne semble plus avoir de fin.
Mon cœur lutte pour ne pas imploser et l’autre me chuchote de me rendre, d’être plus calme. Mon amour s’avance au ralenti, le temps s’arrête lorsqu’il se meut parmi la foule. Il me tient de son regard cerné de khôl, le rouge qu’il porte aux lèvres lui confère une sublime étrangeté. Il écrase sa cigarette sur la table et se colle à moi. Il s’engouffre à travers ma robe et m’écartèle de son autre main. Je me laisse faire enivrer par son audace, assise gentiment sur les cuisses de l’autre qui s’accroche, me lubrifie, me chuchote l’envie. Prise entre ces deux hommes, écrasée, désirée, je suis atteinte de convulsions quand il me gratifie de son sourire le plus flamboyant. Ses yeux paisibles me bercent, le tempo tout entier change. La musique cogne à présent dans ma tête. L’Adoré remue sur moi au rythme des percussions, effleure mes lèvres avec les siennes. J’ai l’impression d’être là sans y être. L’orage sillonne mon corps et me paralyse les pieds, mes ongles s’accrochent aux bras du fauteuil. J’ai les larmes aux yeux, ça coule au fond de la toile de coton et le long de ma cuisse. Je sens ses mains contre la peau de mon cou, il engage sa langue dans ma bouche, serre les doigts et me dévore comme l’autre. Je n’arrive pas à fermer les yeux parce qu’il est là sur moi, l’intensité de son regard me bouleverse. Au son électrique du DJ s’ajoutent nos soupirs enragés et mes cris. Je jouis littéralement contre eux, je n’arrive plus à respirer.
Plus tard, je reprends mon souffle. Dehors, il fait nuit sur la capitale, la rue est sombre et silencieuse, je titube derrière eux jusqu’à ce qu’Ezra s’arrête pour me parler, mais je ne distingue rien, je suis épuisée. Baptiste me soulève du sol et me cale sur son dos comme un vieux bagage, puis ils poursuivent leur route à travers le bitume, ils ne vivent pas trop loin. Mes yeux me brûlent, pourtant, je ne cesse d’observer Ezra. Mon amour fume encore, le mégot suspendu à ses lèvres, le rouge vif avait complètement bavé sur son menton. Il était étrange. Il sourit tout seul puis s’approche de Baptiste pour lui souffler un peu de fumée dans la bouche et l’embrasser, je finis par m’endormir. Qu’est-ce qu’une femme faisait au milieu de ces deux-là, me demandait sans cesse ma mère ; — L’amour, c’est tout.
J’étais éperdument amoureuse d’Ezra, de son allure, de sa façon de brûler ses clopes, comme s’il disposait de la chose la plus désirable au monde et qu’il vous dévisageait avec ce feu dans le regard. Je rentre en dessous terre, je rampe sous lui pour ses prunelles. Je m’affame, je me rabaisse à l’aimer et le partager. C’est moi l’intruse, l’avilissante, le fromage dans le pain, je me plais à les voir s’entremêler. Comme j’envie Baptiste de le faire jouir à ma place. Malgré tout je reste, je persiste, je m’abîme entre ces deux là pour l’aimer, lui, subir l’autre, me faire baiser par eux, les dorloter et être cette pute à pédé qu’on déteste du coin de l’oeil. Je préfère penser que j’ai été choisie. Qu’il y a un an chaussée sur mes escarpins lors d’un dîner organiser pour un vernissage, leurs yeux se sont posés sur moi et qu’ils m’ont élue à deux. Le piège s’était refermé sur les pupilles et les baisers d’Ezra, le venin s’était introduit par les mots et les caresses de Baptiste.
À l’appartement, il fait une chaleur écrasante, Baptiste me pose délicatement sur le lit et entrouvre la fenêtre, il reste un moment à contempler les lumières envahissantes de la ville et perçoit le bruit des quelques taxis qui vrombissent dans l’ombre. Ezra se joint à lui complètement nu, je ne l’ai pas vu ôter ses vêtements. Mon amour passe nonchalamment la main dans les cheveux hirsutes de son amant, lui caresse le visage et l’embrasse langoureusement. Baptiste et lui s’étreignent et j’ai honte de ne pas être contre eux. J’observe vaguement le manège de ces deux-là ronger par la jalousie.
Ezra tire sur ses mèches, mord Baptiste au cou et c’est là que ce dernier me surprend. Il me sourit gentiment en arrêtant Ezra. Ils se tournent vers moi avec une moue taquine, je suis une pauvre équation qui boude d’être délaissée.
— Tu n’es pas fatiguée ? demande Ezra en se couchant près de moi. Il attrape derrière son oreille un joint qu’il allume. Baptiste se déshabille entièrement, s’assoit sur Ezra et aspire la fumée les yeux fermés, ils font cela de façon si intense que cela me tire de ma léthargie. Je veux aussi participer. Je me coule vers eux, tandis que Baptiste aspire le tout pour me le souffler au visage. Lorsque la vapeur est retombée, il m’embrasse. Je suis anesthésiée par tout ceci, deux hommes contre moi, ces souffles sur mon visage ces mains sur moi tout est à présent d’une douceur irréelle. Baptiste ôte ma robe, je me débarrasse de mes sous-vêtements pour les sentir frémir contre moi. Toute la soirée, je n’ai pensé qu’à eux, sentir cette chaleur contre ma peau nue, la fournaise de leur queue contre mes cuisses. Ils se caressent mutuellement jusqu’à ce que je branle Ezra, il m’embrasse avec fureur puis me chuchote qu’il va me faire très mal. Baptiste m’arrache à lui en me tirant violemment par les cheveux, il me couche sous lui, je le supplie de laisser faire mon amour, mais il s’entête, s’allonge sur moi, fais jouer son pénis à l’entrée de ma vulve. Ezra est derrière lui et me regarde, il embrasse son amant au creux du cou, je tente de me débattre afin de le rejoindre, mais ils pèsent lourd sur moi. Ezra met son doigt contre ses lèvres pour m’inciter au silence, il se couche contre moi pour nous regarder. J’observe soudainement Baptiste qui se glisse à l’entrée sans s’enfoncer, je l’encourage, je me tends vers lui qui se retire haletant. Ezra s’étend à mes côtés, tandis que Baptiste me quitte. Il s’allonge sur Ezra et l’embrasse, ils se caressent doucement puis accélèrent, leur respiration devient sonore, je bave complètement. Ma main cherche et trouve, je frotte du bout de mon doigt mon clitoris, je jouis la première. Baptiste et Ezra se placent chacun de part et d’autre de moi puis ils me serrent dans leurs bras, je suis parcouru de soubresauts lorsqu’ils m’écartent les jambes pour enfoncer leurs extrémités en moi, m’empêche de hurler en m’embrassant chacun leur tour. Je me sens devenir plus qu’un jouet, j’en veux plus, je les aspire en moi et quelque chose de violent monte au creux de mon ventre, m’étourdit. Mon amour m’appelle me dit de venir sur lui.
Un bref instant nous sommes l’un contre l’autre, seuls. Il me pénètre sans me quitter des yeux, ressort un peu jusqu’au bord et recommence. Je l’aime, je brûle sur lui, je m’embrase contre Baptiste qui m’étreint par le cou. Je me retrouve dans ma position de choix, comprimée entre deux cœurs. Ils se rejoignent en moi, leur queue pelotonnée à l’intérieur, je m’accroche à Ezra. Baptiste me sert si fort que j’ai l’impression de me fondre en lui. Je tente de respirer, ça me plaît d’être comme ça, la douleur, la jouissance s’entremêlent, c’est si violent que je les supplie de ne plus arrêter.
Ezra attrape Baptiste, ma tête bourdonne, la nuit commence pour nous trois
— Ne bouge plus je t’en prie, garde nous encore, comme ça, un moment, bien au chaud. Tu nous fais bander.
Je me raidis afin de contenir cette vague déferlante à l’intérieur de mon ventre. Malgré tout, mes muscles et ma voix me trahissent, je tremble jusqu’au bout des doigts, je jouis. Ils se retirent de moi et reprennent leur souffle. Les deux hommes s’étreignent tandis que je me perds dans les cheveux d’Ezra, je m’assois sur la cambrure de ses fesses et m’allonge sur son dos. Nous restons silencieux un long moment comme ça, sans bouger, à s’écouter respirer. Je me figure que le bonheur ressemble à cette scène improbable. Puis Baptiste se redresse, il me maintient contre Ezra, me chuchote de me détendre. Il bave sur ma raie et introduit son pouce à l’intérieur de l’orée brune de mon anneau, il s’affaire derrière moi pourtant, c’est Ezra qui gémit. Lorsqu’il s’immobilise, il retire son pouce et me pénètre profondément avec sa queue, je me cambre contre mon amour qui me rassure jusqu’à ce que je me laisse faire, qu’il passe de l’un à l’autre plus facilement. Dans cet appartement obscur où la fenêtre ouverte laisse souffler un vent capricieux, nous sommes un tableau affolant de corps éperdus et emmêlés. Je ne sais plus où je me trouve dans ce puzzle où mes envies alternent avec ceux des deux hommes. Je distille entre mes paumes de main le miel de leur désir et ils me mordent au sein, attendrissants, plus calmes et plus tendres. Parfois, je m’imagine que ce sera comme ça pour l’éternité, car même si je ne suis qu’une poupée, ils m’aiment à leur façon, dehors n’existe plus…
Le matin venu, j’ai froid contre la peau de Baptiste. J’observe Ezra debout devant le monde, la fenêtre grande ouverte laissant filtrer les courants d’air de la capitale qui s’éveille. Il est nu, se détire étrangement et calmement, ses mains glissent sur ses épaules et ses bras de part et d’autre. C’est éblouissant lorsqu’il s’étire, qu’il perçoit les mouvements de son amant dans le lit, qu’il s’immobilise afin de nous surprendre du coin de l’œil. Je jurerais entendre piailler tous ses foutus moineaux et pinsons de la cité lorsqu’il ébauche un sourire en coin absolument diabolique.
Baptiste épie lui aussi la merveille qui se tourne vers nous en ébouriffant ses cheveux, il entame déjà de bon matin un joint que nous n’avions pas pu finir exténués. Ezra a des lèvres voluptueuses qui lui confèrent une sensualité à toute épreuve. Il nous dévisage intensément, ses mains glissent sur sa peau et se perdent sur les parcelles éclatantes de son corps. Je sens déjà les doigts de Baptiste autour de mon cou, sa queue contre ma cuisse qui s’anime. Moi aussi, je bande. Je suis éperdument perdue dans ce spectacle permanent qu’est Ezra, les boucles de ses cheveux sur son visage exquis, le vert opiacé de ses prunelles sur nous et sa bouche qui nous condamne au délit. Un moment, je lève les yeux vers Baptiste tellement je n’en peux plus de subir autant de battements au cœur. Il m’embrasse à pleine bouche en me serrant dans ses bras, je suis si excitée par la danse langoureuse d’Ezra que je me débats contre lui. J’aspire, je cherche l’apaisement, mais mon prince me tire vers lui par la jambe, il me retourne et je lui fais face. Il est tout près de mon visage et me renifle avec cette lenteur exaspérante qui me grise. J’ai envie de lui, j’ai besoin de le toucher. Lorsque je tente de l’atteindre Baptiste agrippe mes mains et m’arrête. Ce sont les yeux d’Ezra que je vois s’enfoncer dans les miens avant qu’il ne s’agenouille à mes pieds qu’il attrape mes jambes pour les poser sur ses épaules. Je lui dis une stupidité, je lui dis que je vais mourir s’il fait ça. Il enfouit son museau entre mes cuisses et je me raidis, je me mords les lèvres, je me laisse aller les poings serrés. Baptiste se redresse, il maintient sans cesse mes poignets et s’avance un peu, pose sa queue contre ma bouche. Je le lèche tout du long puis soupire et recommence. Baptiste me redresse enfin la tête, il me maîtrise toujours comme sa prisonnière, pourtant, je ne lutte pas, il ne veut pas que je touche l’ange qui introduit sa langue plus profondément à l’intérieur. Baptiste m’empêche de chavirer, il saisit mes jambes et les replie vers moi, je reste docile, je croise les bras pour m’entraver. Je veux subir tout ça, je peine à réprimer les cris lorsque vient la jouissance. C’est là qu’il me lâche enfin, je me renverse sur le lit, convulsive. Ezra aime ça, il affectionne de se coucher contre moi tremblante. Il sombre d’un coup les yeux mi-clos dans la fente, la langue dans ma bouche, me serre si fort que je n’arrive plus à respirer et me baise comme un enragé. Je n’ai pas le temps de jouir avec lui, car Baptiste me tire de là, m’assied sur lui puis maintient mon visage contre le sien. Il m’offre en spectacle à Ezra qui se branle tandis que l’autre me cloue et enfouit ses doigts en moi de son autre main. J’ai de nouveau un orgasme, comment reprendre mon souffle après ça ? Ezra s’avance et nous étreint. Ils jouissent contre moi. À l’intérieur, je suis à vif, je les entends gémir et ça virevolte autour de moi.
Ce n’est rien si je suis un hochet, je ressens tellement de merveilles. Je resterais jusqu’à ce qu’on me brise et que l’on me saccage.
— Je me damnerais pour toi.
Ezra m’entend, il semble apprécier, il me sourit et me caresse le visage, je prie que ça ne s’arrête jamais.
— Tu seras à nous pour toujours Julie.
- Autrice Paracelsia Le Saigné
- Crédits Photo Féebrile aka Isabelle Royet-Journoud