Hydnellum Peckii
- Érotique
GABY : En poussant la porte de ce shop, j’ai repensé à ce matin. À tous les matins en fait, depuis tellement longtemps que je perds le compte. Cernée entre la balance et le miroir, le dégoût de soi chevillé à l’âme, et ce corps que je ne peux plus voir, que je ne veux plus voir. Ce corps haï. Ce corps aux mille défauts.
J’ai repensé au moment où j’ai tapé sur Google « comment modifier son corps », comme si ça allait me sortir une recette, une putain de notice. J’ai cliqué sur le premier lien. « Persée shop, bodmod art ». Persée… Fils de Dieu qui coupa la tête de Méduse. S’il y avait un endroit où on pouvait vaincre les monstres, ce serait forcément celui-là.
Je suis entrée sur ce site comme on entre en religion, prête à tout voir, le doigt sur la souris, prêt à lâcher le repère de Dante à tout moment. Et j’ai vu. Aiguilles du dermographe griffant gentiment des épidermes… Barbell de piercing transperçant délicatement des arcades, des tétons, des glands, des lèvres… Lames de scalpel fendant gracieusement les chairs, semant des lignes vermillon sur des peaux diaphanes, des arabesques carmin sur fond ivoire… Crochets et câbles suspendant magnifiquement les corps des aspirants O-Kee-Paa* dans des postures de crucifié Chaque image sur ce site est celle d’un virage si net, si abrupt, par rapport à la beauté aseptisée et conventionnelle, que je ne pouvais détourner les yeux, à la fois terrassée et fascinée.
Ces gens sur l’écran avaient fait l’expérience de leur chair, de sa vulnérabilité ; ils avaient rencontré la douleur et le plaisir, l’adrénaline et les endorphines. Ces substances avaient, pendant quelques minutes, habité leur corps d’une façon singulière. Ils avaient volé. Sans réfléchir, j’avais appuyé sur la touche « Contact ». L’artiste avait répondu le jour même. On avait discuté, il avait fixé une date et une heure, et j’étais là, à pousser cette porte, avec dans le bide une appréhension qui bouillonnait comme l’Etna. Au début, je ne vis que ses cheveux en bataille et les tatouages sur ses bras nus. Mais quand il releva la tête vers moi et me planta son regard dans les pupilles, un trou noir s’ouvrit sous mon sternum. Ce mec-là allait engloutir mon monde. Je le savais comme si c’était écrit depuis la nuit des temps.
— Salut ! Tu es Églantine. Entre, installe-toi, je suis à toi tout de suite.
PARA : Entendre mon nom dans sa bouche me donne le vertige, il doit me prendre pour une cruche avec un tel patronyme. Je suis prise de cette fichue panique, je ne sais pas ce que je fais là, au milieu de la pièce. L’odeur que je suppose être de l’éther me transporte un instant dans une salle d’hôpital. J’entends le ronronnement vibrant et mécanique des machines dans les autres pièces. J’espérais certainement une révélation décisive à mes pérégrinations sur Internet.
— Je m’appelle Xavier, mais si tu préfères mon pseudo de tatoueur…
J’acquiesce sans répondre, occupée à observer l’antre de l’artiste avec attention. Je m’imaginais à tort un bordel sans nom avec des mouchoirs usagés jonchant le sol. Quelques aiguilles traînant deci-delà, même si tous les avis du site web s’accordent sur l’hygiène irréprochable des lieux.
Je suis clairement nerveuse, Xavier semble s’en amuser lorsque je m’assieds enfin sur le siège face à lui. Je dois m’apaiser pour ne pas prendre la fuite.
— Il faut se détendre, tout ira bien. Je suis là pour t’aider à faire un choix.
J’ai les mains moites d’être si proche d’un inconnu. La discussion sur les réseaux s’étant bornée à des questions sur la douleur, les procédures et mes attentes. C’est agaçant qu’il soit si détendu alors que je peine à déglutir.
De ce que je vois en lançant quelques regards furtifs à son endroit, Xavier possède des cheveux dorés en pagaille, il est rasé sur les côtés couleur champêtre. Il a deux anneaux posés sur les lèvres qui lui donnent un air vampirique. Trois bandes inégales tatouées sur la gorge, qui ne cache pas entièrement les boursouflures de chair en dessous. Xavier a des « bielles » recouvertes de tatouages de monstres, je reconnais les plus importants. De vieilles créatures hollywoodiennes et des croquemitaines plus modernes. Il a au bras gauche des implants subdermiques qui lui donne l’apparence des merveilles qui ornent son panthéon fantastique. Je le regarde enfin dans les yeux et tout mon corps se tend. Il y a un œil parfaitement sombre, sans pupille qui me fascine de suite et l’autre noyau couleur olive qui m’observe.
Je ressens une attirance particulière dans le creux de mon ventre aride, je ne m’attendais pas à ce que Xavier soit si magnétique. J’ai l’image de ses mains plongées dans ma chair, de son scalpel qui me fend, de sa langue qui cherche à éponger la fuite. Son sourire guide les palpitations malvenues de ma vulve. Je l’imagine embrasser ma peau entrouverte et dirigé son couteau vers l’entrée de mon désir. Je distingue précisément dans cette vision qui me paralyse, l’objet pointu se positionner à l’entrée de mon urètre et s’y insérer avec douceur.
— Tu voulais me voir pour une scarification ?
Si je le pouvais, je me laisserais aller devant lui. Plus que jamais, je souhaite réaliser cette renaissance avec sa maîtrise. Éprouver la douleur, pouvoir fissurer ce corps que je ne tolère plus, ce manque de relief, ces cicatrices que l’on m’a imposées. Endurer la brûlure, la décider seule et m’apprivoiser. La chrysalide est juste différente d’une analyse. Xavier saisit le changement dans mon attitude, lui-même s’illumine et se rapproche un peu plus. Il exige silencieusement une confession, mais ce ne sera pas pour aujourd’hui.
— Je voudrais recouvrir des plaies.
GABY : — Je vois…
Son regard glisse de mon visage que l’angoisse rend un peu blafard à ma gorge où je suis sûre qu’on peut voir le sang pulser dans les artères tant mon cœur s’emballe. Lentement, comme une caresse, il suit de ses yeux de créature fantastique l’arc de ma clavicule jusqu’à l’épaule que mon débardeur offre aux éléments. Sur la chair s’étalent de fines cicatrices blanches presque parallèles. Ces lignes sont les scories de mes soirées grises à essayer d’extirper à coup de lames de rasoir les cris dans ma tête, étouffant dans un silence glacé, quand même mes sanglots résonnaient comme des hurlements. Dans son regard, aucun jugement. Et quand ses orbes fascinants reviennent plonger dans mes iris, je le sens. Il me comprend. Il sait ce que c’est, un corps qui se parle à lui-même, directement. Il sait à quel point il peut être lénifiant pour l’âme de voir couler son propre sang et de l’observer dessiner sur le sol des runes vermillon.
— Tu vas venir avec moi. Je vais te montrer ce qu’il est possible de faire. Mais tu m’as dit que tu avais déjà un motif en tête, c’est ça ?
— Oui. Attends… je te l’ai amené.
Je fouille mon sac pour en tirer une longue feuille repliée et lui montre un dessin qui m’a parlé. Une sorte de labyrinthe dans un cercle parfait et renfermant une étoile à six branches.
De chaque côté du disque, deux quartiers de Lune se tournant le dos. Le symbole d’Hécate, déesse des morts et des carrefours, reliant le ciel, la terre et les enfers, et de sa triade lunaire.
Tout autour, des arabesques rondes et douces telle une pêche au soleil, et des ratures saccadées, comme si un démon avait collé un grand coup de patte griffue sur le symbole.
— J’aimerais quelque chose comme ça. Si c’est possible. Entre la cuisse et la hanche.
— D’accord… ça devrait être jouable oui. Il faudra agrandir un peu le motif, pour que ce soit bien lisible. Et je dois voir l’emplacement, vérifier si y’a pas un grain de beauté ou une saloperie comme ça qui va nous gêner. Tiens, installe-toi là. Déshabille-toi, tu peux poser tes affaires sur la chaise. Je vais numériser ton dessin, l’agrandir et j’arrive.
Je me débarrasse rapidement de mes vêtements sans prendre la peine de les plier. Debout en sous-vêtements au milieu de cette petite pièce qui sent l’alcool et la javel, je me sens plus nue que jamais. Quand Xavier revient, il jette sur mon corps un regard où je crois voir passer une lueur de vice.
Tu projettes ma pauvre… Tandis qu’il installe son matériel, je ne peux m’empêcher de le mater à en perdre la vue. On devine sous les tissus un torse tout en motifs et en reliefs comme une œuvre d’art contemporaine. Son T-shirt largement ouvert et déchiré me laisse entrevoir une poitrine où j’ai immédiatement envie de coller mes mains. Mon esprit s’inonde de visions licencieuses… Moi chevauchant ce corps d’encre et de sang, l’enserrant de mes cuisses, m’empalant sur sa queue, attirant contre mes seins tendus sa bouche pour qu’il les dévore, qu’il me morde, qu’il me marque… Ces flashs me liquéfient à en être honteuse et infusent dans l’air un parfum de cyprine et de débauche mêlées. Xavier ne semble pas y prêter attention. Quand il se retourne vers moi, j’ai les pupilles éclatées d’envie.
— Bon tu vas t’allonger là, sur le dos, et je vais nettoyer la peau pour commencer. Ensuite je tracerai le motif au feutre, et tu me diras pour le placement. Et après, si t’es prête… on y va. D’accord ?
J’acquiesce, incapable d’articuler le moindre mot. Et la pointe du feutre se pose sur ma peau et trace délicatement une ligne d’une finesse telle que je peine à la voir. Le regard fermé au monde, une main sur l’intérieur de ma cuisse pour me tenir parfaitement immobile, Xavier commence à créer à l’arrière de ma jambe une œuvre de perspectives où chaque ligne, miraculeusement juste et subtile, complète parfaitement la suivante. La pointe douce du marqueur va et vient sur ma peau, caresses minuscules et précises que souligne son souffle chaud quand il se rapproche de moi pour fignoler un détail, parfaire une ombre ou rectifier une courbe. L’œuvre grandit, se répand comme un échafaudage de bleu sur mon flanc, commençant à envahir ma hanche. La mine sature mes sens. Xavier reste parfaitement concentré, penché sur moi et sur son travail. Je sens la main large et chaude ancrée à ma jambe frôler par à-coups ma culotte visiblement trempée. Impossible à cacher. Foutue pour foutue, autant ne pas s’embarrasser de la honte. J’écarte légèrement les jambes. Le dessin finit par buter contre la dentelle sage. Sans s’interrompre, Xavier repousse doucement le tissu et fait fleurir des arabesques bleues jusque dans le pli de l’aine. Je cesse de respirer, gardant dans ma poitrine un air brûlant et rouge, qui ne semble pouvoir fuir qu’en gémissement.
C’est trop. Trop incandescent, trop rapide, trop d’attente… Quand un trait plus appuyé que les autres s’enhardit à s’approcher de ma chatte, ma main cherche une prise, la trouve dans ses cheveux et je relâche une nuée ardente de souffle écarlate.
Sans lâcher son feutre, Xavier pose simplement ses lèvres sur le tissu cachant à peine mes nymphes détrempées. Baiser insatiable, camaïeu de sensations qui déferlent en vague carmin, remontent le chevalet des côtes, éclatent dans ma nuque en une fleur de supplice azure et délicieuse. Sa main libre libère mes chairs de garance impatientes et ruisselantes, et sa langue vient cueillir mon clitoris. Il le prend entre ses lèvres, et l’aspire avec avidité. Le feutre aveugle mène seul sa course sur ma peau, faisant éclore sur ma bouche mille nuances inarticulées. Il finit par le laisser tomber au sol pour jouer de ses phalanges, m’envahissant à deux et rapidement à trois, triptyque m’assiégeant en volutes délicates et m’amenant au bord de la déchirure.
L’œuvre de bleu éphémère salit sa bouche, marque ses joues d’ombres liquoreuses. Des silhouettes anonymes et floues courent sur les draps blancs tendus sur le banc où je suis installée, spectateurs sans visage inconscients de ma petite mort qui se fait attendre. Les mots s’accumulent dans ma bouche en files interminables, incapables de sortir, retenus par pudeur plus que par peur. Xavier le sent, et fait ses doigts plus longs, plus avides encore, plus nombreux pour combler l’espace de mon insondable et indicible ascension. Il porte ensuite à mes lèvres sa main souillée, me la glisse dans la bouche pour y couler une salive lourde et tiède, laissant sur mon menton un lavis de cobalt et de cyprine. Il reprend possession de sa patte ruisselante et ses phalanges glissent enfin, nombreuses et attendues, tout au fond de ma vulve. Trois doigts pilonnant ma chatte et ma pudibonderie. Presque nue sur cette table, jambes ouvertes, gorge déployée, j’éclabousse les murs de mots qui tachent, de syllabes obscènes. Je lâche prise. Des va-et-vient comme un ressac sourd et profond, et soudain la vague immense d’une jouissance vive, aveuglante… Les mains crispées dans ses cheveux, je gicle sur sa bouche en un grognement, écrase ses lèvres, retiens sa langue contre moi pour qu’il boive à la source le fruit de ses ardeurs.
Délicatement, il reprend sa main, me laissant vidée et béante. Sur mon flanc s’étale un motif sans aucune logique, sans proportions, sans logique et d’une terrassante beauté. Daliesque.
Nageant dans l’indolence liquoreuse de cet orgasme hallucinant, je l’aperçois entre mes paupières entrouvertes se laver les mains, enfiler une autre paire de gant, et ouvrir le scellé thermocollé d’un scalpel à usage unique.
— Bouge pas. On va planquer tes plaies sous un océan de stupre…
PARA : À ce moment, je ne ressens aucune crainte, j’aperçois juste l’œil sombre qui m’entraîne dans un abîme immense. Xavier se redresse, il étreint de son ovale émeraude le cadavre vivant sur sa table d’opération. Il doit examiner les stigmates, les traces rectilignes, celles qui ressemblent à des morsures. Les profondes rubicondes, les anarchistes radieuses au moment de rage, les plus nombreuses. Elles convergent, furieuses, bousculant les plus faibles, vers ma poitrine, regagner ce cœur qui s’ébroue tout d’un coup.
Xavier parcourt la mappe chaude et s’arrêtent sur des crevasses. Il essaye de pénétrer les cicatrices, je sens près de ma culotte imbibée, la bosse de son émoi. Plus il serpente les entailles hideuses, plus la bête s’éveille, impatiente, bute contre le tissu de son pantalon. Je le regarde me considérer comme une sainte, tandis que le papier en dessous de mes fesses se déchire lorsque je remonte un peu plus pour qu’il me voie mieux sous sa lampe. Je reste immobile, j’adore le contempler dans sa scrutation de ma peau. Je suis effarée de l’adoration qu’on peut porter à cette chose décharnée et saturée de blessures que je suis. Je me surprends à éprouver une curieuse excitation, à imaginer sa queue zébrée de veines monstrueuses, pleine de sperme qui se plante dans l’ouverture mouillée. Elle attend, écumante, qu’on la condamne. J’ai envie de le supplier de me prendre alors que je ne suis pas venue pour ça.
Je ne comprends pas ce qu’il se passe, mais nos âmes semblent se reconnaître. Il s’attarde sur mon visage, j’ai la bave aux lèvres, ça s’écoule légèrement à la commissure de ma bouche. Sa main, gantée, recueille la manne, remonte la source et disparaît dans le gouffre inondé, il prend son temps, je n’apprécie pas le goût de l’accessoire. Malgré tout, je le laisse faire, il chatouille ma luette, il ne la choque pas trop brusquement. Je sens le reflux plus d’une fois, mais me retiens de vomir, je ravale. Il retire ses doigts et reste immobile, il tente de se contenir, me lance un sourire tout à fait ravageur. Xavier fait passer son pull par-dessus sa tête et l’envoie valdinguer dans un coin de la pièce. Il écarte brusquement mes cuisses, j’entends un craquement ténu. Le cri que je lance le fait sourire, c’est totalement surréaliste, l’air carnassier que cela lui confère, mais je n’ai toujours pas d’appréhension. Comme si tout m’avait mené ici, dans cette salle vers lui. Le scalpel toujours menaçant, je m’abandonne entièrement refusant de me soustraire à l’éclat froid et morbide de ce bistouri.
Xavier découpe les sangles de ma culotte puis déboutonne la cage de son colosse. Le bel animal surgit, paré de plusieurs petites boules en aciers qui ornent sa tête. Je suis à bout, je veux l’attraper, le branler un peu et le faire glisser en moi. Je sens les replis de mon temple s’entrouvrir et relâcher les effluves savoureux, je suis prête à le recevoir.
Je veux apaiser l’éruption annoncée, mais Xavier intercepte mon geste et me retient. J’accueille la peau satinée et les billes qui taquinent l’entrée de mon vagin et s’élèvent le long du brasier jusqu’à se borner sur les bords de mes rives. Son doigt effleure constamment le petit bouton et l’écrase, je frôle la tachycardie lorsqu’il recommence. Cette fois, je goûte la pointe du couteau sur mon ventre, il s’enfonce un moment légèrement et se retire avec un rire bref. Il réitère le jeu, je dois m’accrocher pour ne pas glisser, pour supporter la prochaine semonce, plus vicieuse, plus intense. Mieux la lame s’égare, plus il creuse, me brise avec sa largeur, ressort glaireux, j’écume comme une chienne, tandis que la tranche insidieuse me tourmente. Entre délire et plaisir, je lâche un râle, mais il me plaque sa main sur la bouche et se plante jusqu’à la garde dans mon fort.
Son corps cède, recouvre le mien, il entrebâille la bouche et se mord. J’apprécie ce baiser étrange qui perdure alors qu’il tente de me perforer avec son dard. Il maintient son étreinte, m’écrase complètement et cherche à heurter le fond de mes entrailles afin de les combler. Je l’entends murmurer des obscénités, je reste proche de l’implosion. Son bas-ventre produit un frottement sauvage sur mon berlingot, je défaille au bord d’un ravin jusque-là méconnu. Je sens bientôt le scalpel sous ma gorge, j’imagine sa membrane me pénétrer sous le feu de son affairement. L’image provoque en moi un vertige total, je tremble sans le lâcher des yeux. Je ne suis plus très loin de l’explosion.
— J’ai tellement envie de te briser, petite indécente, si soif de te faire mal.
Mes yeux se révulsent, mes griffes s’enfoncent dans ses bras mutants. Lorsque la bête quitte mon fourreau, j’expulse toute ma jouissance en un jet régulier sur le fauteuil. Mon Dieu, je l’entends rire, mais il ne relâche pas l’étreinte pour autant ni la lancette.
GABY : Xavier s’éloigne d’un grand pas pour admirer son œuvre. Je suis devenue une toile de maître. Impressionnisme délirant. Sur le torse nu de l’artiste, un lavis de cyprine donne à sa peau des reflets diaprés. L’encre du stylo y forme des nuages effilochés qui se perdent autour de sa main gantée et macule sa queue turgescente. Il bande encore, je suis partie trop tôt. Étrangement cette pensée me ravit, moi qui aie plutôt l’habitude des mecs qui se vident sur ma vulve et s’endorment sur mon plaisir mort avant d’avoir éclaté.
Il réajuste le gant sur les doigts qui tiennent le scalpel, me gicle l’alcool à même la peau depuis la pissette, et, d’un papier frotte vigoureusement sur mon flanc le liquide qui goutte jusqu’à mon cul. La peau rougit sous cet affront. Je me laisse manipuler, marionnette consentante encore dans les limbes d’endorphine. Il s’installe ensuite sur le haut tabouret et sa lame approche. Un trait, et ma peau pleure un sang vermillon qui écrase les volutes de bleu éthérées. L’information de douleur a du mal à cheminer de mes nerfs saturés jusqu’à ma tête qui flanche. Je le regarde faire, mon beau Priape. Je vois qu’il sourit en dessous de son masque, qu’il bande sous la table. La lumière scialytique valse sur les billes d’acier qui ornent son gland et la lame poursuit sa route. Elle incise, elle découpe et je la regarde faire comme si ce corps n’était pas à moi. Comme si cet épiderme n’était qu’un costume mal taillé dont je m’accoutrais chaque jour avec l’espoir fou que quelqu’un, n’importe qui, tire sur les coutures et m’arrache de cette gangue. Xavier ne me découd pas il me découpe, et avec le sang qui coule j’envahis le monde. Immanence grenat sous le feu de l’inox aux reflets de cobalt.
Il relève les yeux et je plonge dans ses iris désassortis. J’y vois mon reflet. Il me sonde, me pénètre de son regard et fouille les méandres de mon encéphale, remuant les pensées qui s’y étaient agglutinées. Je sens la lame du scalpel qui s’enfonce doucement dans ma chair, mais je reste happée par ce regard qui me déshabille l’âme.
Un courant électrique me parcourt, le corps se réveille, se rebelle, et ma jambe sursaute. Xavier pose une main ferme sur ma cuisse et la colle à la table.
— Non, tu vas pas faire ça. Tu vas laisser couler…
Les phalanges gantées de sa main libre glissent de ma jambe à mes nymphes béantes, elles les fouillent, les triturent avec science, et quand il enfonce la lame à nouveau, il précipite ses doigts larges dans mon vagin ruisselant. Je deviens carrefour de sensations fulgurantes. Il me vide d’un côté et me remplit de l’autre. Le scalpel incise la hanche que je trouve trop large, et ses doigts se replient en crochets dans mon fourreau. Je me pâme. Il me tient. Je deviens pantin. Guignol en chaleur. Vas-y, anime-moi. Son pouce agace mon clitoris qui bande sous sa peau. Je suis liquide. Vide-moi sur cette table, putain.
Xavier se relève. Sur mon flanc, le scalpel a ouvert une arabesque de supplice. Il s’approche et sa queue glisse contre le sang qui coule, macule son gland d’un vernis carmin. Il s’y vautre dans un râle. Contre ma hanche il se branle et mon sang goutte ses bourses, dévale ses cuisses fortes en ruisseaux vermeils. Ses doigts s’affairent, ressortent, reviennent plus nombreux, plus fort. J’écarte les cuisses, indécente. Je veux sa main entière, son poing, je veux qu’il me déchire, qu’il comble l’abîme. J’écarte les cuisses, et attrape son poignet pour l’attirer à moi. Il rentre son pouce dans sa paume et vrille sa main dans mon vagin qui dégorge. Le passage de ses jointures me propulse au seuil de la déchirure. Il écarte ses doigts en moi et je gémis. Je suis un pantin.
— Vas-y, invente une histoire maintenant…
PARA : …Fais de moi cette souillure écarlate, je suis ta putain. Fissure-moi jusqu’à l’âme.
Il me dévisage hébété et continue l’ascension, ouvrant de plus en plus ma béance incarnate. Il plonge tandis que je tente de m’accrocher à sa chair ferme.
Je ne trouve pas mes mots sous la pulsion douloureuse qui me propulse dans un état second. J’ai l’impression qu’on m’extirpe les tripes joyeusement. Le poing poursuit son périple doux à travers mes entrailles, repoussant la chair étroite, la tordant afin de ressortir et revenir exercer la poussée qui m’arrache un cri silencieux. Je n’oublie pas où je me trouve, je ne veux alerter personne, cette sphérule me suffit. Tous mes membres sont tendus à l’extrême. De mon gosier s’élève bientôt un râle inattendu, Xavier se penche alors pour imprimer ses crocs sur ma gorge. À ce moment, je suis comme sonnée, mon estomac est ravagé et brûlant. J’halète de plaisir, je m’accroche de douleur. La morsure agit comme un baume anesthésiant, un délicieux supplice, je n’ose guère émettre de sons, ni me mouvoir sous ses assauts précis.
Ce temps me paraît interminable, Xavier se redresse, il semble possédé, son expression change du tout au tout. Il sort de moi avec une brutalité assurée pour passer entres mes cuisses sans vie. Mes jambes pendent mollement sur la table d’opération, mais il les relève sans ménagement. Son scalpel dessine ce qui semble être des volutes dentelées au-dessus de mon pubis. Le bout de sa lame trace des sillons maîtrisés, la concentration le porte alors qu’il bande à l’embouchure de l’abricot. Il la lutine sans perdre le tracé sur ma peau. Lorsque je me cambre, son appendice trésaille, pénètre sans le vouloir le Vésuve et maintient ses distances en se reposant sur le nid de brindilles clairsemées. Le souffle de Xavier trahit son empressement. Je sens sa queue conquérir la place dans un passage déjà vide, je m’arc-boute convulsive, prise entre la détresse et le ravissement. Le bistouri s’acharne en même temps que les coups de reins profonds d’un dément. Il s’enfonce ardemment, exerce une danse lascive qui me crucifie littéralement. Je deviens délirante, mon corps n’est plus qu’une enveloppe de sueur caniculaire. Il me fend par son outil puis déchire avec sa queue l’humide crevasse. Je jure que je sens cogner contre la paroi de mon dôme ses boules en acier. Elles vibrent à l’intérieur de moi, me vrillent les fondations, je finis par l’expulser pour jouir en un flot continu de lave clair et bouillonnant. Xavier apprécie tellement ce jet impérieux qu’il ne me laisse pas me vider, sa bite retourne dans son fourreau. J’aperçois son sourire de satisfaction, il est enchanté de m’empêcher de reprendre mon souffle, de m’entraver. Il me traite de belle pisseuse, enfonce la lame plus fort, accélère la cadence, je crois perdre la tête. Pourtant, je ne veux pas qu’il s’arrête. Suppliciée, la chair labourée et liquéfiée. Je subis ce jeu insensé pourtant, je m’ouvre, je salive. En le voyant ôter l’épiderme comme les épluchures d’oranges, je m’étonne d’ignorer le dégoût et le tourment. Je souhaite qu’il glisse sa trique chargée sur mes plaies. Qu’il parcourt le parchemin éventré, s’insinue dans les rainures, provoque le choc, me crève là.
Xavier commence à éructer, je dispose mes pieds sur les rebords de notre cocon métallique afin de fournir l’impulsion à ces charges séreuses. Le bas de son ventre vire au pourpre, ça me fait jubiler de constater que j’érafle tout avec ma potion tragique. Le sang nous libère enfin, il s’accroche à mes reins, s’échappe de son terrier et se laisse dériver abondamment dans un océan de foutre raisiné. Les picotements infects que cela provoque me font jouir de nouveau. Fasciné par sa cliente avec qui il venait d’endurer une séance intense, Xavier pose un long baiser sur mon front en sueur. Il se lève, me libère de son poids, les effluves bestiales finissent par synthétiser avec l’odeur d’alcool qu’il me pulvérise sans indulgence sur le ventre. J’aperçois mon infirmier poursuivre son rôle, après s’être essuyé avec une serviette placée sur un tabouret dans un coin de son antre, puis, il saisit un immense rouleau blanc d’essuie-tout. Lorsqu’il se pose enfin sur la chaise qu’il n’aurait pas dû quitter depuis le début de la séance, patiemment, presqu’avec tendresse, il me fait une toilette intime qui me fait de l’effet. Il tamponne et assèche sans se départir d’un sourire insondable. Jamais personne ne s’était occupé de moi comme ça. La fin de la séance est plus sérieuse, j’ai dans la tête des images sirupeuses dignes des pires romances, le cœur flottant tandis que Xavier se rhabille et m’explique la marche à suivre pour la cicatrisation. La session était beaucoup trop courte, je veux un autre rendez-vous.
Xavier braque ses yeux dans les miens, je m’enfouis dans un sol mouvant imaginaire.
— Après le travail, je peux venir prolonger la séance chez toi.
La gélivure craque à nouveau et il pleut entre mes digues.
*Chez les Mandans, une tribu d’Amérique du Nord, rituel d’initiation pour obtenir le statut de guerrier incluant des suspensions
- Co-Autrice Paracelsia Le Saigné
- Co-Auteur Gabriel Kevlec
- Crédits Photo Féebrile aka Isabelle Royet-Journoud