Barbarie d’un organe palpitant
- Érotique
GABY
Quand je l’ai vue assise, seule, dans ce bar, les yeux perdus vers les dimensions irréelles de sa tête, je n’ai pu m’empêcher de l’approcher. Elle avait ce regard que seuls affichent ceux qui ont le cœur en charpie. J’ai tiré la chaise qui lui faisait face, et plongé dans ses iris sombres. Sur ses lèvres étaient accrochés tous les mots qu’elle ne pouvait dire qu’à un parfait inconnu. Et cet inconnu, c’était moi.
—Parlez-moi de lui.
PARA
— Je me souviens de son nez adorable, de son embarras à cause du pollen et de mes moqueries. C’est là que mon cœur à crevé, c’est céans que j’ai cru mourir. Un geste quelconque, ses yeux sur moi ? Mon âme est partie à la dérive. Mon archipel demeure des bouts d’amers luxuriants, où chaque parcelle d’îles est piétinée par ses explorations.
Je me rappelle de la découverte perpétuelle de ses émois, de ses soupirs, ses sourires grisants. J’aime par-dessus tout me corrompre dans l’illusion de notre liberté. Son corps, enrobé de fragrance cathartique, est un prolongement de sa présence des jours à venir, les effluves élusifs de ma perte programmée.
Je peux notifier toutes ses putains d’heures manquées à ma peau, son absence aggrave mes interrogations internes, la distance achève ma folie. L’élixir qu’il distille, infiltre la pompe jusqu’à ma poitrine, étrille mes troubles et ravage tout. Il fait temps pluie au fond de mes tripes. Sans lui, c’est une sécheresse éprouvante, une agonie enivrante et absurde.
J’aime ses murmures délictueux et son souffle sur mon visage, l’adoration dans nos pupilles ébahis de se retrouver perdus l’un dans l’autre.
Ce fléau tout de même, que sont les sentiments, ceux qui vous tordent et font perdre la volonté des plus Vaillants. Je le désire à corps, comme un cri déchirant. Lorsque mes doigts s’agitent en mon fort, j’en perds la pudeur, j’en oublie l’appétit. Ce qui me lacère, c’est le rappelle de ses prunelles obsédantes qui creusent dans les limbes de ma raison. L’hallali m’emporte contre lui, je ferme les yeux et dévale sur sa hampe. Je me supplicie alors jusqu’au vertige tandis qu’il m’emprisonne entre ses bras. Je veux le garder comme un secret enfoui dont moi seul contemple les
contours.
Il est mon radieux automne, mon aimé grisonnant, l’incandescence insolente de mes péchés.
Il est mon flamboyant été, mon intrigué envoûtant, le caprice indolent de mes pensées.
Mon archer est cette mélodie invisible qui me berce sur sa poitrine, me régénère délicieusement, me rassérène de sa pompe d’amour. Il glisse au fond de ma gorge et asperge les tréfonds lumineux de mon culte. Je l’adore mon divin glorifié, ma catin pour me plaire, mon galant qui me baise en feu. Je l’ai au bout des lèvres, à la pointe du con, au bord de mes étourdissements, au sommet de mes envies brûlantes.
Autour de mon animal apprivoisé par ses chants suaves, pulse l’univers. Il a fait de moi un corps alanguit de ses caresses délicates et douloureuses qui font plier ma vigilance. Et mon sang circule jusqu’à la mécanique émorfilée, il béni la rouille, graisse le compresseur. Ainsi, je m’anime conquise à la démesure de cet amour trop éclatant qui me fait jouir, mouille l’entrée de tous mes offices. Je veux combler les orifices de ses doigts fascinants, de sa langue doucereuse.
De mon gouffre tantalien, j’éjacule mon violent désir de masquer son visage avec mon jus alcalin. Qu’il me boive, qu’il m’avale, qu’il m’affame mon beau Prince affolant. Je jure que sa peau est succulente, que parcourir l’encolure de sa clinche est un dessert exquis, qu’il me plaît à moi d’y glisser mon pêne fourchu et d’enclencher nos spasmes.
S’il savait comme je me consume de le souhaiter entre mes cuisses toutes les secondes de ma vie, de le posséder dans mes bras. Je veux lui susurrer tous les maux du monde qui m’enchaîne jusqu’à l’affolement, à sa personne.
Par tous les Saints ! Ce sont ces rêves, c’est son regard, son unicité qui ont démoli toutes les briques de mon barrage offensé. J’ai éprouvé l’angoisse de cet étrange mur qui a cédé sous le poids de l’évidence, qui m’a ébroué l’estomac, qui a huilé mon cœur, altérer mon existence.
Mais il est l’opium de quelqu’un d’autre mon inaccessible…
Putain, je me carbonise de tendresse.
GABY
— Si vous saviez comme je comprends… Si vous vous carbonisez, de mon côté je suis déjà en cendres. J’ai le cœur en copeaux délitescents de gris qui s’éparpillent aux quatre vents. Je suis tombé amoureux, vous savez, sans l’avoir jamais rencontré. Les Québécois disent « tomber en amour », comme si l’amour était un univers souterrain au fond d’un puits vertigineux. L’expression est bien trouvée. J’ai trébuché sur la première photo de lui qu’il m’a envoyée, sur ses premiers mots derrière lesquels j’ai commencé à entrevoir l’homme extraordinaire qu’il était, et j’ai
chuté dans un inframonde aux reflets indigo et tapissé de ces images de lui, habillé, nu, de dos, de face, visage, corps, cul, queue bandée en gros plan, et ses yeux, si vous aviez vu ses yeux… Il y avait un univers entier dans ses iris.
J’ai contemplé chaque pixel jusqu’à le rendre palpable. Chaque nuit je le voyais en rêve, chaque jour en songe éveillé. Mille fois je l’ai embrassé à perdre haleine, mordillé ces lèvres pleines, ajouté le feston de mes dents à cette éphélide qui avait chuté de sa pommette jusqu’ici. Mille fois j’ai parcouru son corps de mes mains, dévalé ses épaules de mes paumes, glissé mes doigts sur ses reins et ses fesses. Mille fois je me suis blotti contre son torse pour qu’il m’enlace, qu’il se serre contre lui et me murmure ces mots-là, de sa voix que j’ai apprise aussi, douce et claire comme
l’eau des rivières.
Je me réveillais en nage et en délire, le palpitant affolé, bandant sous les draps. Chapiteau dressé pour un spectacle que je rejouais à l’infini, sa peau contre la mienne, mon cul qui cédait sous sa langue profondément enfouie, ouvrant le passage pour sa queue que je voulais en moi si fort que je sentais ses coups de reins.
Je l’avais maté à m’en sécher les yeux, sur cette photo, haletant comme un mort de faim, les pupilles éclatées devant ce membre qu’il présentait à l’objectif comme j’aurais voulu qu’il me le tende. Jouer de l’apex de mes papilles sur ce sillon délicat, apprécier ses aspérités, le décalotter de mes lèvres que j’aurais serrées juste assez pour qu’il ait l’impression de baiser ma bouche, avant de le laisser s’engouffrer bien plus bien, profondément, arrosant ma luette de son foutre que j’aurais accueilli dans ma gorge…
Je me rêvais caressé, branlé, léché, sucé, doigté, et puis pilonné, encore, et encore. Et puis je me voyais allongé contre lui, son bras m’annexant contre son ventre comme si c’était là une routine délicieuse. Une impression que ma place avait toujours été là. Et il me chuchotait des phrases qui commençaient par ce pronom qui roule sur les nuques, celui qu’utilisent les gens qui regardent ensemble le ciel qui s’alizarine le soir : nous. Il me murmurait des projets pour demain. Il me disait « Je t’aime ». Comme si c’était vrai. Comme si c’était ma vie.
Mais le voile s’est déchiré. Et ce que j’ai vu derrière m’a arraché des bras le joli rêve que j’avais. Je l’avais tellement serré contre moi, il s’était si bien enraciné dans ma poitrine, que lorsque réalité est venue me le prendre de force, elle est partie avec des morceaux de moi. Éclats de côtes brisées net sous la traction, sternum en miette, poumons en charpie, cœur à vif, tailladé, saigné, décomposé comme une charogne. Quand j’ai rouvert grand les yeux, je me suis crashé contre les murs d’impossibles dressés entre lui et moi, ses amours et mes névroses, ses engagements et mes envies de mourir… et puis j’ai baissé la tête, et j’ai vu la plaie béante. Cratère carmin. Le sang coulait encore en nappes écarlates, rougissant mon ventre, dévalant mes cuisses, souillant la terre.
Et là, et seulement là, j’ai ressenti la douleur. Comment décrire cette souffrance ? Les mots de toutes les langues parlées sur cette planète n’y suffiraient pas. Le manque. Absolu. Viscéral. L’évidence de l’absence qui crie, un hurlement strident, comme celui d’un animal blessé. La jalousie ignoble qui se pointe et transforme mon corps dépecé en royaume pour le monstre aux yeux verts. Le traquer devint une routine, tout comme haïr ces anonymes qui avaient l’audace d’être là où je ne serai jamais. Haïr ceux qui croisaient sa route, ceux qui hantaient son lit, ceux qui se pâmaient sous ses doigts, sous sa langue. Haïr le monde entier.
Tout plutôt que de me transformer en ce monstre, de l’attirer vers ces eaux troubles où l’on se noie si facilement. Plutôt crever que de seulement risquer de le rendre malheureux. Je devais le laisser partir, vivre, aimer d’autres que moi et se faire aimer par le monde entier. Je l’aimais assez pour ça. En quelques semaines, il m’avait offert une vie entière. Les vieux rêves étaient de bons rêves, ils ne se sont pas réalisés, mais même à ce prix, celui de ma poitrine lacérée, je suis content de les avoir eus. J’ai lu ça un jour, ça s’est gravé dans ma tête : « Dans un univers d’ambiguïtés, ce genre de certitude ne vous es donnée qu’une fois, et jamais plus, quel que soit le nombre de vies qu’on traverse. » J’ai eu ma chance, je devrais remercier le ciel et accepter mon sort. Alors j’ai mis le feu à ma carcasse et à mes dernières espérances. Je l’aime assez pour ça. Putain, je me suis carbonisé d’amour.
Quand le silence s’installa à notre table, il était lourd du mal sanglant que l’amour amène souvent dans ses valises.
— Vous voulez boire un verre ? Ils servent du Carthagène, un vin de liqueur au goût de mer du Sud. Ça éteindrait nos braises pour quelques minutes…
— Quelques minutes entières ?
— Sans doute le temps de quelques battements de cœur barbare.
- Co-Autrice Paracelsia Le Saigné
- Co-Auteur Gabriel Kevlec
- Crédits Photo Féebrile aka Isabelle Royet-Journoud