Do you Have a Message ?
- Désordre
L’affaire était devenue médiatique dans la ville, à chaque bruissement de papier journal que l’on ouvrait au matin, jaillissait des titres racoleurs présentant pour trame l’histoire de cette femme qui se disait battue et violée au sein de son couple. Depuis des années, elle endurait ses brimades avant de commettre l’irréparable un soir de trop. Elle avait poignardé son mari, s’acharnant sur la dépouille. Le procès divisait la population tranquille d’une bourgade que le monde découvrait. Les reporters des quatre coins du globe affluaient ; la victime était un homme influent, qui avait eu les doigts coupés… Ses couilles et son pénis avaient été sectionnés. Ce qui intéressait cette bande de vautours était l’endroit où elle avait pu cacher les « reliques ». Elle refusait catégoriquement de le dévoiler. Le déroulé des années d’abus physiques et psychologiques sur l’accusée était à mille lieues de leurs préoccupations. Il fallait captiver le lecteur et le spectateur et cela impliquait des « Une » racoleuses ainsi que des inventions saugrenues pour ferrer le chaland ; c’était devenu un cirque médiatique.
Une radio populaire du coin, réputée pour le côté franchement putassier de son animateur, avait vu ses audiences exploser grâce à ses positions odieuses et sexistes. Erol en était fier, mais pas les associations de tout bord qui tentaient d’interdire ses émissions qui propageaient la haine et réconfortaient ses fans aux comportements toxiques. Ce soir-là, il tint bon, passant le cordon de manifestantes en colère, trouvant deux… Trois râleuses sublimes, secouant la tête devant celles qu’il jugeait hideuses. La Cour, ce matin, avait présenté les dossiers médicaux de l’accusée. Ses bleus, ses contusions et ses plaintes inondaient les médias, mais pour Erol, ce n’était qu’une tactique de plus. Il n’hésita pas à le faire savoir derrière son micro.
— De vous à moi, je ne crois pas qu’elle se soit fait violer. Mais soyons sérieux, elle n’est pas belle. Non… Bon sang ! Vous avez vu son look, elle tient à peine debout. Ma queue ne toucherait pas un déchet pareil. Elle a eu de la chance que ce beau-fils de pute accepte de lui passer la bague à l’un de ses doigts boudiner, pas vrai ? Attendez ! Attendez ! Je suis peut-être trop dur. Peut-être qu’elle est capable d’atteindre la catégorie des « beautés classiques », mais son mari pouvait se taper qui il voulait. Le gars transpirait la réussite, elle… Elle était juste là, à ne donner aucune envie. Typiquement, une autre de ces tarées aigries qui se trouvent des excuses. Meuf ! Il fallait fournir des efforts pour l’exciter, il n’aurait pas été voir ailleurs. Oui les mecs, je déchiffre vos messages sur Instagram… Easy, je tente de vous répondre à tous.
Il vit défiler une question sur son portable qui le fit hurler de rire.
— Patricia… Patricia ma chérie, c’était une femme au foyer, il bossait dur pour sa famille, elle avait amplement le temps de se rendre présentable. Les gosses ce n’est pas une excuse, ne mettez pas les mômes dans cette histoire ! Elle est tordue et frustrée. Elle voulait se venger, elle a exécuté un honnête homme, un mari et un père aimant. Cette garce a juste sorti de son « Chapoix magique » une vieille rengaine pour ternir son image.
Il vit clignoter le bouton pour l’insert et prit l’appel en se rapprochant de la bonnette.
— Qui est en ligne ? J’écoute ta question ?
Il entendit les parasites habituels de quelqu’un adaptant l’appareil contre son oreille puis il identifia une voix féminine qui le salua timidement.
— Oh, ma louloute, t’as l’air toute mignonne, je t’attends…
— Bonsoir… Bonsoir, je m’excuse, je me devais d’intervenir. Ingrid dit que ce soir-là, elle avait décidé de ne pas se laisser faire. En plein coït, elle a eu très mal, très très mal et lui a demandé d’arrêter.
— Louloute, on sait tous très bien que ça veut dire d’y aller plus fort non ? Vous êtes de sacrées petites vicieuses, mais ça, on le sait ! Taper dedans, tout au fond, ça vous plaît !
Silence.
— Non en fait. Non, c’est non. Je ne comprends pas pourquoi ça doit être interprété autrement. Je ne crois pas que ça vous fasse du bien d’avoir un membre dans votre intimité sans en éprouver l’envie.
Erol laissa tomber son portable et émit un sifflement agacé.
— Une putain de féministe ce soir avec nous les mecs ! Tu vas nous raconter comment faire alors louloute ?
— Demander la permission simplement. Le consentement n’est pas une invention…
— Ah ! Je l’attendais celle-ci. Je ne crois pas que la victime ait « consenti » à se faire dépecer. C’est une saloperie de cinglée, elle lui a coupé la bite, ma jolie.
Silence.
— Comment faites-vous pour nous mépriser autant ? Peu importe les preuves, les épreuves, nous serons toujours des cibles à abattre.
— C’est un raccourci facile. J’aime les femmes ma belle. Les vraies, celles qui se sacrifient pour leurs hommes et les soutiennent jusqu’au bout, pas celles qui veulent transformer nos mâles en femelles, tu piges n’est-ce pas ?
Silence.
— Alors si je vous sodomise sans votre permission et que j’entends vos suppliques, je devrais persévérer, parce que vous le supporteriez au nom d’une suprématie tacite ?
Il éclata d’un rire tout à fait odieux, avant de sentir le pincement violent à l’entrée de son anus. Par réflexe, il se contracta, arrêtant subitement de se moquer de son auditrice pour tenter de se lever, mais il n’y arrivait pas. Quelque chose essayait de perforer la paroi dure de son fondement. C’était à peine croyable. Brusquement, cela le transperça sans ménagement, il vomit sur la table attrapant les recoins pour s’y accrocher. Les collaborateurs affolés se précipitèrent dans la cabine pour le secourir… Mais le sauver de quoi ?
— OH MON DIEU ! ARRÊTEZ ÇA !
Cela l’envahissait rapidement, violemment et s’introduisait de plus en plus fort. Il rendit une seconde fois ses tripes sur l’acajou, fermant les yeux pour prier.
Jamais, de toute sa vie, il ne s’était senti aussi vulnérable, humilié sous les yeux de ses collègues qui ne comprenaient rien à ce qui se passait et restaient là, impuissants, le regardant se faire agresser sans vergogne par quelqu’un qu’ils ne voyaient pas. Erol pleura, il supplia avec force et perçut la voix plus assurée de la femme :
— Je sais que tu aimes ça, salope !
- Autrice Paracelsia Le Saigné
- Crédits photo Féebrile aka Isabelle Royet-Journoud